mercredi, septembre 30, 2009

« Les branches avaient l'odeur de la forêt...»


Couverture d'une édition américaine ( The New York Review of Books)
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« L'homme qui tenait la boutique avait un visage bienveillant. Il portait un tablier de jardinier, et ses mains étaient brunes et sèches, comme s'il avait travaillé la terre.
- Lequel voulez-vous, Madame ? demanda-t-il en tournant le bouquet de chrysanthèmes pour qu'elle pût choisir. Elle regarda les grosses fleurs avec leurs têtes toutes frisées. Les pétales recourbés étaient d'un grenat profond au centre et d'un jaune fauve à l'extérieur. Là où la lumière tombait sur leur chair mince, le grenat brillait ardemment alors que le jaune fauve pâlissait comme s'il était légèrement coupé d'argent. Il lui tardait de pouvoir les carresser.
- Je crois que je vais tous les prendre, dit-elle.
- Ils sont superbes, répondit l'homme.
Il était content. Il n'espérait plus une aussi bonne cliente à cette heure tardive.
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En lui rendant la monnaie sur son billet d'une livre et en lui tendant les chrysanthèmes enveloppés dans des feuilles de papier blanc fermées par des épingles, il lui donna aussi des branches de hêtres. Il précisa qu'elles étaient comprises dans le prix. Laura les prit dans ses bras. Les grands éventails aux nervures orange lui paraissaient encore plus beaux que tous les chrysanthèmes, sans doute parce qu'on les lui avait donnés, parce que c'était une surprise. Elle les sentit. Les branches avaient l'odeur de la forêt, une odeur de forêt bruissante et obscure, comme celle à l'orée de laquelle elle se rendait si souvent à l'automne, dans ses rêves. Elle ne bougeait pas pour bien se pénétrer de ce qu'elle ressentait. »
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Sylvia Townsend Warner, Laura Willowes
.Traduit de l'anglais par Laurence Lévy



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Un beau texte de Genviève Brisac, qui a préfacé une autre édition de « Laura Willowes». Ici.

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2 commentaires:

claire a dit…

L'extrait choisi, la préface de Geneviève Brisac... l'art profond de mêler sentiments humains et éléments de la nature,je me suis régalée.

Elisabeth.b a dit…

Je relis ce livre en ce moment. J'aime l'ironie de Sylvia Townsend Warner. Arme redoutable pour dessiner un portrait (de couple avec dame). Quand la fantaisie donne impitoyablement mesure du conformisme :

« Aucun événement impromptu ne pouvait les désarçonner : ils sauraient toujours en absorber et en atténuer l'impact. Si la bouilloire explosait, si un policier grimpait par la fenêtre en brandissant une épée, Henry et Caroline sauraient maîtriser la situation grâce à leur immense expérience des bouilloires normales et des policiers normaux. »